#1 les Mondes de Travers (partie 1)
Ça y est, c’est le grand jour !
La nouvelle saison 2022-2023 de Zaï Zaï débute aujourd’hui.
On commence l’aventure avec une première fiction : les Mondes de Travers.
Découvrez l’histoire de Mark, explorateur, qui se déplace de monde en monde à la recherche de son frère.
Bonne lecture !
Louis
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les Mondes de Travers (1/2)
Mark sortit du portail. Au-dessus de sa tête, des arbres géants s’élevaient en colonnes, leurs feuillages épais bouchaient le ciel. Dans cet amas sombre, la lumière tamisée cherchait sa place et rampait au sol, irisant les fougères et les lianes. Il n’entendait aucun bruit. Puis un vacarme assourdissant emplit l’espace.
Les sons environnants, surgissant en une boule compacte frappaient, frappaient contre les tympans de Mark. Il ne distinguait rien, assommé par la profusion des sons et des formes qui s’agitaient de part et d’autre de la jungle.
Après des premières minutes erratiques, il rassembla ses esprits. Il concentra son attention sur une rumeur parmi le tumulte. Ce bruit semblait agir en électron libre, il s’éloignait ou rejoignait le reste des sons à sa guise. En isolant ce bruit, l’ensemble finit par former une harmonie dont Mark percevait désormais les subtiles variations rythmiques et mélodiques derrière l’agitation multiple.
Ses yeux, eux aussi, s’habituèrent à la pénombre. Il comprit enfin que ce n’était pas le vent qui faisait bouger les branches mais bien la faune qui les habitait. Les toucans criaient, les insectes bourdonnaient, les capucins et les ouistitis hurlaient de branche en branche. Au loin, Mark distingua un buisson s’agitant au passage d’un tapir.
Mark restait là, à contempler la foisonnante selva. Il admirait la dentelure des feuilles des bananiers, des palmiers et des ficus. La montre à son poignet sonna. Trente minutes étaient passées sans qu’il ne s’en soit rendu compte. Il éteignit l’alarme et fit ses premiers pas dans la jungle. Il longea des racines qui sortaient de terre, serpentant vers des troncs qui faisaient trois fois sa taille.
Il voulut tenir ce monde dans ses mains, s’assurer de sa réalité. Il toucha l’écorce d’un baobab. Elle était d’un granuleux étrangement sec. Il souleva une fougère, ses feuilles recourbées viraient en nuance de vert, tirant au jaune et au marron entre la tige et l’extrémité de ses feuilles.
Mark parcourut quelques mètres et déjà ses vêtements lui collaient à la peau. Il sentit sous ses doigts toute la moiteur de la jungle. Un mélange de chlorophylle et d’humus gras suintait des plantes. Il n’osait pas fermer les yeux de peur de voir ce monde disparaître.
Après une exploration qui lui avait semblé durer quelques secondes, il regarda à nouveau sa montre. Déjà trois quarts d’heure ! Il retraversa le portail en trombe.
— Monsieur Heisenberg, vous n’avez pas entendu l’alarme ? Pour votre premier essai, nous avions convenu de trente minutes maximum, reprocha l’hologramme d’une figure féminine.
— Il a suffi que je pense « jungle » et je me suis retrouvé dans cet enfer vert. Les sensations étaient incroyables. Comment arrivez-vous à tromper mon esprit ?
— Nous ne trompons rien ni personne. Le Travers n’est pas une simulation mais un accès aux mondes parallèles. Il faut se représenter le portail comme un moyen de transport vers un autre univers. C’est votre esprit qui projette la destination. Plus vous êtes précis, plus la probabilité d’atteindre le monde souhaité augmente. Le réseau électrique ne fait que convertir vos ondes cérébrales en flux d’énergie pour y accéder via le portail. Impressionnant, n’est-ce pas ?
L’hologramme ne lui laissa pas le temps de réfléchir et enchaîna :
— En tout cas, félicitations ! Vous vous êtes débrouillé à merveille ! Nous pouvons désormais lever votre limite de temps.
— C’était si oppressant. Le bruit, les odeurs, les arbres… répondit Mark
— Cela fait des années que nous cherchons à perfectionner le déplacement spatio-temporel. Vous faites maintenant partie des heureux élus qui ont voyagé dans un monde parallèle. Pour la prochaine expédition, nous allons voir si vous êtes capables de voyager dans le temps. L’exercice sera bien plus complexe.
— Pourquoi n’ai-je pas eu plus d’explications avant cette première traversée ?
— Nous vous avons fourni les informations nécessaires. Le reste ne vous est pas partagé afin de tester votre capacité d’adaptation face à un nouvel environnement. Chez TrusTech, c’est ainsi que nous sélectionnons nos explorateurs. Dois-je vous rappeler les consignes de sécurité ?
— OK, OK, vous préférez vous la jouer confidentiel, j’ai compris. Pas la peine de me refaire le protocole, je l’ai déjà en tête.
— Un rappel ne fait jamais de mal. Avant chaque traversée, il vous faut respecter deux règles. Règle n° 1 : penser à quelque chose de précis avant de pénétrer le portail. Rien d’abstrait ni de vague. Règle n° 2 : toujours emprunter la même porte pour entrer et sortir.
— Et cette combinaison qui gratte ?
— Elle permet de suivre vos constantes. L’oreillette et le masque assurent un contact permanent pendant l’expédition. Pour cette première tentative, vos stats sont impeccables. Mais pourquoi commencer par un lieu si hostile ?
— Je ne suis pas comme ces petits bras qui rêvent de virée à la campagne, de jardinage et de plage paradisiaque. Moi, je cherche l’extrême. Maintenant que je ne peux plus piloter, faut bien s’amuser autrement.
— Pardon, je ne voulais pas remuer le passé. Nous avons tous été choqués par votre accident en Hypervitesse. C’était l’autre pilote qui était en tort, pas vous !
— À sa place, j’aurais fait pareil. Dans un virage étroit, à 1000 km/h, faut forcer le passage. Ça m’a couté ma jambe et ma licence, mais je n’ai aucun regret. Bon, j’imagine que vous ne m’avez pas invité ici pour que je vous raconte ma vie. Dites-moi pourquoi TrusTech m’a fait venir.
— Il s’agit de votre frère. D’après nos informations, il s’est échoué quelque part dans un monde parallèle.
— Échouer ? Mon frère ? C’est mal connaître le virtuose de la famille. Je croyais que c’était votre meilleur explorateur.
— Votre frère est un excellent explorateur. Il a été un des premiers à découvrir des mondes qui dépassent notre entendement. Nous avons perdu sa trace, et avec elle, les récentes données qu’il a collectées. Il faut les retrouver.
— Pourquoi moi ?
— Vous êtes le candidat idéal. Vous le connaissez mieux que quiconque et vos capacités en Hypervitesse sont parfaitement adaptées au Travers. Certains en interne pensent que votre frère a perdu la boule et en est mort.
— Moi je parie qu’il a préféré la jouer solo, sans capteurs. Explorer pour le fun, pas pour collecter de la donnée pour des scientifiques froussards, trop heureux d’envoyer des fous furieux faire leur job. Bon, on y retourne ?
Après quelques explications sommaires, Mark était prêt à tenter le voyage temporel. Pour éviter les violentes saillies de la première traversée, Mark se représenta le portail comme un long couloir desservant une série de portes. Derrière chacune se trouvait une période historique.
Mark ouvrit la première porte sur sa droite et bascula dans une clairière, surplombant une baie. Des mouettes planaient au large, jouant avec les vagues qui éclataient en contrebas de la falaise. En penchant l’oreille, Mark distingua des voix qui fusaient au loin. Il se rapprocha discrètement.
Derrière des pins, trois individus à la peau cuivrée discutaient nerveusement. Mark les reconnut à leur pagne et à leurs parures de plumes et de perles, il avait atterri en Amérique, au milieu d’Amérindiens. Le plus inquiet des trois pointa du doigt l’eau turquoise.
Une caravelle approchait dangereusement du rivage. Elle semblait mal en point, la grande voile déchirée de part en part s’agitait sous le vent. Accoudé au bastingage, un homme hurlait ses ordres à l’équipage. Mark l’avait déjà vu quelque part, mais où ? Le bateau évita une première barrière de récifs. Les marins s’affairaient sur le pont. Ils tentèrent de baisser la voile pour ralentir l’allure mais c’était trop tard, un courant ascendant fit pencher le navire une première fois, puis une deuxième.
Le bateau tapa les rochers. Il y eut un grand crac et le bateau fut éventré dans sa largeur. Une poignée de survivants menée par le chef tentait de s’agripper à des morceaux du navire qui flottaient à la surface. Une volée de flèches provenant de l’autre côté du rivage les acheva.
Mark, toujours caché derrière un arbre, distingua parmi les débris la poupe du bateau qui dérivait vers lui, il déchiffra son inscription : Santa Maria. Ce nom, cet équipage, cet homme accoudé au bastingage, il les avait lus dans un livre d’histoire ! Il venait d’assister au naufrage du Santa Maria et de son maître, Christophe Colomb. L’explorateur censé découvrir l’Amérique avait péri à ses portes.
Ai-je bien remonté le passé ou suis-je dans un autre monde ? se demanda Mark.
L’Histoire a trébuché ici et semble prendre une autre direction. Mais est-ce que cela a de l’importance ? Sont-ce les hommes ou les circonstances qui font l’Histoire ? N’y aura-t-il pas une autre personne pour prendre à son tour la mer et réaliser cet exploit ?
Mark laissa là ses réflexions perplexes et partit essayer les autres portes. En se déplaçant d’époque en époque, il assista à la défaite de Charles Martel à Poitiers, à la victoire de Pompée sur César, à l’inauguration du château de Louis XIV à Limoges, au sacre de Louis XVII et à la capitulation américaine devant l’armée rouge.
À chaque traversée, une histoire alternative se déroulait sous ses yeux. Lui qui espérait faire un crochet par Hitler était déçu. Il ne contrôlait pas le portail. Dommage, il avait pensé à de multiples façons de l’assassiner. Strangulation, poignard, explosif, poison ou bien plus insolite comme l’inoculation de la rage à Blondi, son berger allemand.
Il avait envisagé de remonter à l’enfance du monstre nazi pour le pousser dans les escaliers ou par la fenêtre, voire de s’attaquer à sa mère avant sa naissance. Ce n’était pas très éthique mais quand il s’agit d’un dictateur sanguinaire, ne faut-il pas s’autoriser tous les moyens nécessaires ?
Ne voulant pas se retrouver dans une autre histoire alternative, Mark préféra rentrer. Dès qu’il eut mis un pied dans le sas, il fut pris d’une violente migraine suivie de nausées qu’il réprima à grande peine.
— Alors ? s’enquit l’hologramme.
— Fantastique, j’ai vu défiler notre histoire, j’ai même assisté au débarquement de Christophe Colomb, mentit Mark. Je crois bien que je maîtrise votre truc.
— Pas d’effets secondaires ? Nausées, vomissements, migraines ? Vos constantes sont très hautes.
— C’est l’adrénaline. Vous en faites pas, j’en ai vu d’autres.
— Vous êtes sûr d’être remonté dans le passé ? Parfois, cela se joue à un détail. Hiro n’avait réussi qu’à la deuxième tentative. Et encore, in extremis. Il avait dû se reposer quelques semaines.
— Peut-être que je suis meilleur que lui. En tout cas, je suis en pleine forme. Prêt à repartir. Nous n’allons pas le faire attendre, n’est-ce pas ?
— Très bien. En cas de problème, contactez-moi. Maintenant que vous maîtrisez le déplacement dans le temps et l’espace, nous vous laissons carte blanche pour le retrouver. Où comptez-vous aller ?
— Laissez-moi vous surprendre, dit-il en souriant.
Où Mark prévoit-il de se rendre pour sa prochaine traversée ? Dans quel monde atterrira-t-il ? Va-t-il réussir à retrouver son frère ?
Cette nouvelle étant plus longue que la moyenne, elle est exceptionnellement en deux parties.
Suite de l’histoire, la semaine prochaine…